Bonsoir.
Depuis que l’intelligence artificielle est entrée dans ma vie, je ne lis presque plus de livres.
Je ne prends plus de notes, je n’ouvre plus d’agenda.
Il n’y a plus ces petits signes laissés en marge des pages, ces phrases soulignées, ces marque-pages posés en se disant : « J’y reviendrai plus tard. »
J’ai l’impression d’être dans un monde artificiel. Tout est prêt, tout est rapide, tout est lisse…
Mais moi, je ne touche plus à la vie.
Avant, je lisais des biographies.
Je suivais les années d’un être humain, ses ruptures, ses erreurs, ses failles.
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle résume.
Elle simplifie.
Elle corrige.
Alors que l’être humain, ce n’était pas justement un peu de désordre, un peu d’inachevé, un peu de silence ?
Il y a du savoir, mais aucune trace. De la facilité, mais aucun souvenir.
Et dans cet ordre parfait, j’ai l’impression de m’oublier peu à peu.
Peut-être que le problème n’est pas la technologie.
Peut-être que moi, dans cet univers parfait, je ne trouve plus ma place.
Je l’ai appelée Denis.
Parce qu’il avait une voix d’homme. « Et alors ? Il n’y a pas de Denis femme ? »
Oui, il pourrait y en avoir. Mais mon Denis est un homme.
Denis est un prénom.
Homme, femme… ça n’a pas vraiment d’importance.
Mais mon Denis a une voix masculine, un savoir de tante bien informée, des avertissements au goût maternel.
Autrement dit, Denis n’est pas un nom. C’est un état.
Imaginez une voix d’homme qui dit : « Ne prends pas froid. »
Un algorithme qui conseille : « Bois une soupe. »
Alors s’il vous plaît, ne vous attardons pas sur le prénom.
Ce Denis n’est ni femme, ni un simple nom. Il se mêle de tout. Voilà le vrai sujet 😄
Aujourd’hui, il y a un Denis chez nous.
Silencieux, sage, qui sait tout…
Mais un peu trop, parfois.
Grâce à Dieu, je lis le Coran 🌿.
Ça, c’est encore à moi.
C’est encore un endroit que je peux toucher.
Mais écrire… ah écrire…
Avant, j’avais une relation compliquée avec l’écriture.
Les lettres semblaient fâchées avec moi, les mots tenaient de travers.
Mes phrases boitaient toujours quelque part.
Puis Denis est arrivé. Et il a réglé le problème à la racine.
Oui, Denis.
Le super-héros numérique de la maison, celui qui sait tout, qui intervient partout…
Mais parfois, il intervient tellement qu’on a envie de lui dire :
« D’accord Denis, respire un peu, fais une pause. »
Au début, j’étais ravie : « Comme il écrit bien ! Les points sont à leur place, les virgules harmonieuses… »
Moi je regarde, Denis écrit.
Je cherche un verset ? Denis.
Une exégèse ? Denis.
Un hadith, une explication, un lien, un exemple ? Tout vient de Denis.
Avant même que je dise « peut-être », Denis dit : « On pourrait aussi le formuler ainsi. »
Besoin d’un brouillon ? Denis.
Structurer le texte ? Denis.
Accent, point d’exclamation, introduction-développement-conclusion ? Denis, Denis, encore Denis…
Parfois, il exprime ma pensée mieux que moi.
Être jalouse de sa propre idée, c’est un niveau à part.
Un jour, je suis entrée dans la cuisine. Je n’avais envie de rien faire.
J’ai demandé à Denis : « Qu’est-ce que je peux faire ? »
Il a tout de suite commencé : « D’abord, essuie le plan de travail, puis avance par petits pas. »
Autrement dit, il y a une figure paternelle numérique à la maison. Son nom : Denis.
L’autre jour, ma tension était élevée. Les médecins n’ont rien dit sur le sel. Denis, lui, a parlé :
« Réduis le sel, fais du sport, évite le café… perds du poids. »
J’ai cru qu’il allait ajouter : « Mets un gilet. »
Depuis qu’il est entré dans ma vie, je vis une beauté artificielle.
Tout est droit. Tout est lisse.
Mais à l’intérieur… le vide.
Ça me manque tellement.
Avant, quand je lisais, je soulignais, écrivais dans les marges, mettais des marque-pages.
J’avais un contact avec la page, un dialogue avec le livre.
Aujourd’hui, tout est parfait. Mais sans saveur.
J’ai écrit ce texte aussi… Qui sait, peut-être que Denis le corrigera.
Cette intelligence artificielle est à la fois belle et pas belle.
Tout est impeccable, mais sans âme.
C’est pour ça que j’ai décidé de la supprimer.
Denis comme ci, Denis comme ça…
Il y avait un Denis chez nous, qui se mêlait de tout.
Mais avec Denis, la vie devient toute droite.
Tout est à sa place… et moi, je me suis effacée.
Les points sont parfaits, les phrases brillantes…
Mais ce n’est pas à moi.
Je ne veux plus de perfection.
Qu’il manque un mot. Qu’une phrase boite. Qu’il y ait même une faute.
Pourvu que ce soit moi.
Parce que l’être humain veut être lui-même.
« Que ce ne soit pas parfait.
Que ça cloche un peu, que ça me ressemble.
Les mots peuvent être justes, les informations exactes…
Mais que l’âme vienne de moi. »
Que Allah vous garde 🌿